Sous la poussière des mines, la transparence reste introuvable

Sous un soleil éclatant, le 7 octobre 2025, les caméras ont immortalisé un moment que le pouvoir qualifie d’« historique ». Le président Évariste Ndayishimiye, drapeau en main, a donné le top départ à dix conteneurs de quartz vert et d’améthyste, symboles proclamés d’un Burundi minier enfin « transparent » et tourné vers l’avenir.

 

Derrière les applaudissements et la ferveur officielle, une question plus terre à terre s’impose : s’agit-il d’un véritable tournant économique ou d’une mise en scène politique soigneusement calculée pour masquer des contradictions structurelles ?

 

Le discours présidentiel, empreint d’un volontarisme sincère, veut redonner confiance à une population lassée des scandales et des détournements.

 

« Désormais, plus personne ne vendra les minerais sans passer par les voies légales », a-t-il martelé, promettant de faire de la transparence un pilier de la vision 2040-2060.

 

Pourtant, entre les intentions et la réalité du terrain, le fossé reste béant.

 

Le Burundi exporte depuis longtemps ses minerais, souvent dans des conditions opaques où s’entremêlent intérêts politiques, sociétés écrans et complicités administratives.

 

L’événement du 7 octobre, censé symboliser un « nouveau départ », illustre aussi cette tendance à confondre communication et réforme.

 

Le Programme d’autonomisation économique et d’emploi des jeunes (PAEEJ), mis en avant comme vitrine du projet, suscite autant de louanges que de doutes.

 

Selon le pouvoir, des jeunes encadrés par la société FANALEK ont extrait ces minerais dans le cadre d’un programme de 100 jours.

 

Mais plusieurs experts rappellent que l’exploitation minière exige un savoir-faire technique, des études géologiques et des normes environnementales que ne peut suppléer l’enthousiasme politique.

 

« L’exploitation artisanale n’est pas synonyme de développement », tranche un économiste burundais.

 

Les chiffres officiels en disent long sur le paradoxe burundais.

 

Lors de l’exercice budgétaire 2023-2024, seulement 24 % des recettes minières attendues sont effectivement entrées dans les caisses de l’État.

 

Les écarts entre projections et résultats ne tiennent pas qu’à la contrebande : ils traduisent aussi la fragilité institutionnelle et la faiblesse du contrôle fiscal.

 

Le gouvernement promet désormais un système numérique de traçabilité des minerais et espère engranger plus de 130 milliards de BIF, rapporte le journal Iwacu Burundi

 

Mais à défaut d’une réelle indépendance administrative et judiciaire, ces ambitions risquent de se dissoudre dans les pratiques anciennes.

 

Pour Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome, le spectacle du 7 octobre relève davantage d’une « opération d’image » que d’un changement de paradigme.

 

« La transparence ne se décrète pas sous les caméras », avertit-il.

 

Selon lui, la gestion du secteur minier demeure l’un des angles morts de la gouvernance publique burundaise, gangrenée par des réseaux d’intérêts mêlant acteurs économiques et politiques.

 

Il rappelle que le Burundi s’est engagé à adhérer à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), mais que la résistance des exploitants retarde tout progrès.

 

Même son de cloche chez Faustin Ndikumana de Parcem, pour qui la scène d’exportation ne change rien aux failles structurelles.

 

« 260 tonnes d’améthyste et de quartz vert, c’est insignifiant au regard du potentiel national. »

 

Il plaide pour une actualisation de la carte minière, la réalisation d’études sérieuses de prospection et la mise en conformité avec le Code minier. L’exploitation artisanale, selon lui, ne peut que perpétuer un cycle de sous-performance, aggravé par la politisation des décisions économiques.

 

Car au fond, le véritable enjeu n’est pas la quantité exportée, mais la qualité du système. Or, celui-ci reste miné par l’absence de gouvernance claire, la concentration du pouvoir décisionnel et la méfiance du chef de l’État envers ses propres institutions.

 

En voulant tout diriger, le président Ndayishimiye se prive de relais compétents et crédibles.

 

Le contrôle vertical, s’il rassure politiquement, étouffe administrativement.

 

Cette fragilité institutionnelle ouvre la voie à une autre lecture, plus politique : celle de la récupération symbolique d’un secteur qui, depuis 2021, souffre d’un déficit de confiance et de légitimité.

 

Pour la Coalition pour la Renaissance de la Nation, CRN – Ingeri ya Rugamba, cette exportation inaugurale n’est rien d’autre qu’un « coup de communication d’un pouvoir en quête de légitimité économique ».

 

L’Organisation estime que « le président cherche à transformer quelques conteneurs de pierres semi-précieuses en trophée politique, alors que la population s’enfonce dans la pauvreté et que les revenus miniers restent invisibles dans le budget national ».

 

La CRN – Ingeri ya Rugamba va plus loin : « Ce que nous voyons n’est pas le début d’une ère de transparence, mais la continuité d’un système où la richesse du pays profite à une minorité proche du pouvoir. Les jeunes du PAEEJ sont utilisés comme vitrine, mais derrière eux, les vrais bénéficiaires sont les réseaux politico-économiques. »

 

Elle dénonce également l’absence de publication des contrats miniers et des chiffres réels sur les volumes exportés : « Tant que ces données resteront secrètes, il n’y aura pas de transparence, seulement du théâtre politique. »

 

Selon le CRN – Ingeri ya Rugamba, l’exploitation minière au Burundi illustre la dérive d’un État qui « préfère les cérémonies aux institutions, les symboles aux résultats ».

 

Elle appelle à la mise en place d’une autorité indépendante de régulation minière, dotée d’un mandat clair et protégée des influences partisanes.

 

« Tant que les mêmes acteurs contrôleront à la fois les mines, les finances et la communication autour des exportations, le peuple burundais n’en tirera que des illusions dorées », conclut – elle.

 

Ainsi, tandis que les camions chargés de minerais roulent vers l’horizon, l’espoir d’une véritable renaissance minière s’éloigne, lui aussi, dans la poussière.

 

La scène de Bujumbura, malgré son éclat, pourrait bien n’être qu’une parenthèse brillante dans une histoire faite de promesses récurrentes et de richesses mal partagées.

Le Burundi, assis sur un trésor minier, continue de regarder ailleurs pendant que d’autres en récoltent les fruits.