À Gitega plusieurs associations de défense des droits des victimes tutsi réclament depuis six ans la possibilité de se recueillir sur le site mémorial de Kw’i Bubu. C’est à cet endroit que, le 21 octobre 1993, plus de 150 élèves tutsi furent rassemblés dans une station-service avant d’être brûlés vifs, dans le climat de terreur qui suivit l’assassinat du président Melchior Ndadaye, premier chef d’État hutu démocratiquement élu du pays.
Malgré des démarches répétées, les autorités continuent de refuser toute cérémonie sur ce lieu de mémoire.
La première interdiction, prononcée en 2020 par les autorités communales et provinciales de Gitega, avait été justifiée par des motifs de sécurité, le site se trouvant sur la colline natale du président Évariste Ndayishimiye, où il possède une résidence.
Depuis, aucune autorisation n’a été accordée, malgré les appels insistants des familles des victimes et des organisations concernées.
En 2022, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Martin Niteretse, avait rencontré les responsables des associations afin de les dissuader d’organiser une commémoration.
Selon ces dernières, il leur avait simplement conseillé de déposer leurs gerbes de fleurs au monument dédié au président Ndadaye, sans jamais leur fournir de réponse écrite, malgré leurs demandes formelles.
Dans un communiqué conjoint publié le 25 octobre 2025, trois associations – l’Association des parents des victimes des massacres de Kw’i Bubu, l’Association pour la réconciliation et la gestion des mémoires blessées (ARG) et AC Génocide Cirimoso – dénoncent une fois de plus ce qu’elles considèrent comme un refus injustifié et discriminatoire.
« Nous continuerons à demander au chef de l’État d’autoriser ces hommages, car il a le devoir de protéger les droits de tous les citoyens. Se recueillir à Kw’i Bubu, c’est honorer la mémoire de nos proches brûlés vifs », a déclaré Térence Mushano, vice-président et porte-parole d’AC Génocide Cirimoso.
Les associations affirment avoir adressé leur requête à plusieurs autorités avant de s’adresser directement au président de la République.
Elles déplorent par ailleurs une politique de « deux poids, deux mesures », soulignant que d’autres groupes, notamment ceux représentant les victimes hutu, obtiennent sans difficulté l’autorisation d’organiser des commémorations sur des sites publics.
citent notamment celui de l’Université du Burundi, où une stèle honore des étudiants hutu tués en 1995.
Pour éviter toute coïncidence avec la journée nationale dédiée à l’assassinat du président Ndadaye, elles avaient même proposé d’organiser leur cérémonie le 25 octobre, mais cette initiative est restée sans réponse.
Au-delà du refus administratif, cette situation met en lumière les tensions persistantes autour de la mémoire nationale burundaise.
Alors que les massacres de 1972 sont officiellement reconnus comme un « génocide contre les Hutu », les événements de 1993 demeurent sujets à controverse.
De nombreux Burundais tutsi y voient un « génocide contre les Tutsis », mais cette reconnaissance peine à s’imposer au niveau institutionnel.
La Commission vérité et réconciliation (CVR), chargée de faire la lumière sur les crimes du passé, est souvent critiquée pour son manque d’engagement à enquêter sur certains sites signalés comme abritant des fosses communes de victimes tutsi.
Pour les familles endeuillées, pouvoir se recueillir à Kw’i Bubu ne relève pas seulement du souvenir, mais constitue un pas essentiel vers la réconciliation nationale.
Leur espoir demeure que les autorités finissent par comprendre que rendre hommage aux morts ne menace pas la paix, mais au contraire, contribue à la consolider.

