À Minembwe, la journée de mardi a pris des allures de soulèvement populaire. Des milliers d’habitants, exaspérés et isolés, sont descendus dans la rue pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme un blocus délibérément orchestré par l’armée burundaise.
Installés à Mikalati, les militaires dépêchés par Gitega sont accusés de barrer les principales voies d’accès, étouffant ainsi toute activité économique. Une manœuvre qui, pour les manifestants, ressemble moins à une opération sécuritaire qu’à une stratégie d’asphyxie.
Les cris de colère des Banyamulenge, qui ont mené la marche, traduisent un ras-le-bol profond.
« Nous n’avons plus ni sel, ni savon, ni sucre, ni médicaments », dénonçait Benigne Nyasingizwa devant la foule.
Les Burundais, disent-ils, contrôlent chaque passage, coupent les routes comme on étrangle une communauté dont la survie dépend déjà de routes précaires et de marchés lointains.
Et depuis trois semaines, personne à Kinshasa ne semble en mesure — ou en volonté — d’y mettre fin.
Les accusations qui fusent ne datent pas d’hier.
Depuis plusieurs années, des rapports d’experts internationaux décrivent une présence militaire burundaise de plus en plus intrusive dans le Sud-Kivu.
Malgré les dénégations répétées de Gitega, les faits documentés s’accumulent : patrouilles armées aux côtés de milices locales, opérations conjointes mal encadrées, et surtout une série d’abus qui, selon les populations, touchent principalement les Banyamulenge.
Meurtres, enlèvements, violences sexuelles — des témoignages crédibles circulent, pendant que le gouvernement burundais se réfugie dans un discours niant l’évidence et accusant quiconque le critique de vouloir « salir l’image du pays ».
L’attitude de l’armée burundaise sur les hauts plateaux ressemble de plus en plus à une logique de domination territoriale à peine voilée. Elle avance, installe ses positions, impose ses règles, puis nie toute responsabilité.
Une stratégie déjà observée dans d’autres zones frontalières et qui trouve à Minembwe un terrain propice, au détriment de populations déjà vulnérables.
Dans ce climat tendu, les combats signalés mardi dans les villages voisins viennent rappeler la réalité du terrain : loin d’être une force stabilisatrice, l’armée burundaise agit comme un acteur supplémentaire du chaos régional.
Les habitants accusent ses troupes de mener des opérations avec les Wazelendo et certaines unités FARDC contre le groupe d’autodéfense Twirwaneho.
Pour beaucoup, cette proximité nourrit les soupçons d’un agenda obscur où la lutte contre les groupes armés ne sert que de prétexte à des ambitions politiques et militaires plus larges.
Le contraste entre les dénégations officielles de Gitega et l’expérience quotidienne des habitants du Sud-Kivu est saisissant.
Tandis que le gouvernement burundais s’échine à projeter l’image d’une armée disciplinée et respectueuse, la réalité de Minembwe raconte tout autre chose : une force qui franchit les frontières, s’implante durablement, s’arroge des territoires et exerce un contrôle qui dépasse largement la simple coopération militaire annoncée.
La passivité du leadership congolais n’arrange rien. En l’absence d’une réaction ferme de Kinshasa, l’armée burundaise agit en terrain libre, sans garde-fou, sans surveillance réelle, au point que certains habitants parlent désormais d’une « occupation silencieuse ».
Pendant que les gouvernements congolais et burundais s’écharpent dans les discours diplomatiques, les populations, elles, subissent les conséquences concrètes de ces jeux de pouvoir.
La manifestation de Minembwe n’était pas seulement un cri de détresse : elle était un acte d’accusation public contre un voisin devenu oppresseur, et contre un État congolais trop faible ou trop divisé pour défendre son propre territoire.
À défaut d’un sursaut politique, les hauts plateaux du Sud-Kivu risquent de devenir un laboratoire des ambitions sécuritaires burundaises, au mépris du droit international et de la dignité des communautés locales.

