Quand Neva transforme chaque critique en lynchage personnel

La scène politique burundaise vient de connaître un épisode révélateur de la fragilité du débat public. Une semaine après que l’organisation Parcem a présenté son analyse « leadership politique et développement économique », le président Ndayishimiye a riposté, non pas sur le fond des critiques, mais en visant directement la vie privée de son principal auteur, Faustin Ndikumana.

 

Ce glissement du terrain économique vers l’attaque personnelle en dit long sur l’état des rapports entre pouvoir et société civile.

 

Au cœur de l’analyse de Parcem présentée le 31 octobre, un constat simple mais insistant: des incohérences dans la gestion du carburant et des intrants agricoles, malgré des dépenses publiques colossales.

 

L’organisation y décelait une série de contradictions officielles, depuis les cargaisons prétendument bloquées à Dar es Salaam jusqu’aux distributions de carburant « par plaques », sans explication satisfaisante.

 

Sur les engrais chimiques, subventionnés à hauteur de plus de 300 milliards, Parcem relevait une pénurie persistante, mettant en doute l’efficacité des politiques annoncées.

 

Le même diagnostic touchait certaines infrastructures publiques qui se dégradent, dont l’aéroport national, symbole d’un État en difficulté d’entretien.

 

Plutôt que de répondre point par point, le chef de l’État a choisi une stratégie inattendue.

 

Il a mis en cause l’origine des revenus de Faustin Ndikumana, s’étonnant qu’un activiste sans emploi formel puisse conduire une voiture ou s’habiller correctement.

 

Il a aussi tourné en dérision son statut marital, suggérant qu’un célibataire n’aurait pas la légitimité nécessaire pour comprendre les besoins de la population.

 

Ces allusions, parfois teintées d’un vocabulaire spirituel, rompent avec la retenue habituellement attendue d’un chef d’État et déplacent le débat vers un registre où l’argumentation économique se retrouve éclipsée.

 

Cette personnalisation de la confrontation n’a pas tardé à susciter des réactions.

 

La Ligue Iteka, organisation historique de défense des droits humains, a dénoncé ce qu’elle considère comme des « appels déguisés au lynchage ».

 

Elle relève que des relais du pouvoir ont relayé sur les réseaux sociaux des affirmations mensongères sur Faustin Ndikumana, notamment qu’il ne vivrait au Burundi que depuis peu, alors qu’il y réside depuis 2015.

 

Pour l’organisation, ces messages créent un climat dangereux pour les voix critiques et fragilisent encore davantage un espace civique déjà restreint, rapporte la RPA.

 

La Ligue appelle les partenaires internationaux du Burundi, en particulier l’Union européenne et les représentations diplomatiques, à intervenir pour rappeler l’importance de protéger les défenseurs des droits humains.

 

Elle insiste sur le rôle social de Faustin Ndikumana et sur la responsabilité personnelle du chef de l’État dans toute dérive ou violence visant les activistes.

 

La CRN – Ingeri ya Rugamba voit dans cet épisode un symptôme profond de la dégradation du débat public au Burundi.

 

Pour la coalition, la difficulté persistante à discuter sereinement des enjeux économiques traduit l’épuisement d’un espace civique où toute analyse indépendante est perçue comme une hostilité.

 

Elle estime que la dérive vers l’attaque personnelle, plutôt que l’échange argumenté, illustre une volonté d’étouffer les interrogations légitimes de la société.

 

En éludant le terrain de la transparence et du dialogue rationnel, le pouvoir fragilise ce qui reste de confiance publique et accentue la rupture entre gouvernants et citoyens, prévient la CRN, qui appelle à un retour à la responsabilité politique et au respect des voix critiques.