L’aveu est tombé comme une pierre dans l’eau, provoquant autour de lui des cercles d’incrédulité. Ce 1er décembre, face aux journalistes burundais et aux correspondants internationaux, le président Ndayishimiye a déclaré ignorer l’emprisonnement de la journaliste Sandra Muhoza, détenue depuis plus d’un an et demi.
Une phrase lâchée comme si l’affaire était marginale, insignifiante, ou trop lointaine pour parvenir jusqu’au sommet de l’État.
Pourtant, son nom revient régulièrement dans les rapports des organisations de défense de la liberté de la presse, dans les publications des médias indépendants, dans les communiqués diplomatiques.
Il est difficile d’imaginer qu’il puisse y avoir ignorance ; et c’est précisément cette difficulté qui crée le malaise.
Cette déclaration présidentielle a immédiatement suscité des réactions, notamment au sein de la Coalition pour la Renaissance de la Nation (CRN – Ingeri ya Rugamba), qui s’est dite « profondément inquiète et préoccupée » par cette ignorance affichée.
Pour cette plateforme politique et citoyenne, le fait qu’un chef d’État affirme ne pas connaître le sort d’une journaliste emprisonnée depuis plus d’un an n’est pas une simple maladresse, mais un signe inquiétant de désarticulation du pouvoir.
La CRN – Ingeri ya Rugamba y voit la preuve d’une rupture entre les institutions, d’un déficit majeur de circulation de l’information au sommet de l’État, et d’un dysfonctionnement qui mine la confiance du public dans la capacité des autorités à garantir justice, transparence et responsabilité.
Plus encore, elle estime que cette « méconnaissance » interroge sur la manière dont sont gérées les affaires sensibles impliquant des citoyens arrêtés pour des faits qui touchent de près ou de loin à l’exercice des libertés fondamentales.
Car ce que révèle cette proclamation présidentielle n’est pas seulement une méconnaissance troublante d’un dossier emblématique. Elle met en lumière la fragmentation d’un système institutionnel où les mécanismes de justice, de sécurité et d’information semblent fonctionner en silos, parfois en contradiction flagrante les uns avec les autres, souligne la CRN- Ingeri ya Rugamba.
Comment comprendre que, quelques heures avant cette rencontre, la journaliste ait été officiellement notifiée du maintien de sa détention par la Cour d’appel de Ngozi, et que le chef de l’État, lui, affirme ne pas être informé de son sort ?
Comment concilier cette ignorance déclarée avec les propos tenus dans la même séance, dans lesquels il conditionne une éventuelle grâce présidentielle à une demande de pardon et à la vérification de la nature des « infractions » ?
L’épisode a également révélé une scène presque théâtrale : le président, manifestement en manque d’informations, qui se fait souffler les détails de l’affaire par une ancienne porte-parole du parti au pouvoir.
Non seulement cela donne l’impression d’une présidence tenue à distance de réalités judiciaires sensibles, mais cela confirme aussi ce que beaucoup redoutent : la justice burundaise, surtout lorsqu’elle concerne la presse, demeure une zone d’ombre, opaque et inexplicable même pour les plus hautes autorités.
Au-delà du cas individuel de Sandra Muhoza, cette situation renforce le sentiment d’un climat médiatique continuellement sous pression.
Depuis la crise de 2015, le pays peine à reconstruire un espace d’expression réellement libre. Les arrestations répétées, les détentions prolongées sans procès clair, les accusations floues ou politiquement sensibles illustrent une persistance de méthodes qui fragilisent encore davantage la profession journalistique.
Lorsque le président invite les détenus à « demander pardon » pour envisager une libération, il renverse la logique institutionnelle : ce ne sont plus les preuves, la procédure ou le droit qui déterminent l’avenir d’un individu, mais un geste d’allégeance morale interprété par l’exécutif.
Dans cette affaire, la figure de Sandra Muhoza est devenue symbolique malgré elle.
Symbolique d’un système qui peine à assumer ses contradictions. Symbolique d’une justice qui, d’un côté, reconnaît l’incompétence territoriale d’un tribunal qui l’avait condamnée, mais qui, de l’autre, maintient obstinément sa détention. Symbolique, enfin, d’un pouvoir qui tente de se présenter comme réformateur, tout en restant prisonnier de réflexes coercitifs hérités des années de crise.

