Quand le Parlement se barricade contre les journalistes

À Bujumbura, les murs du Palais des Congrès de Kigobe se referment lentement sur les journalistes. Ce qui n’était au départ qu’une série de mesures administratives s’est mué en un dispositif de contrôle systématique de l’information parlementaire.

 

L’accès des médias à l’Assemblée nationale du Burundi, autrefois ouvert et transparent, est désormais filtré, surveillé, restreint.

 

La nouvelle exigence d’une carte d’accès spéciale pour tout journaliste souhaitant couvrir les séances marque un tournant dans la relation, déjà fragile, entre le pouvoir et la presse.

 

Depuis plusieurs mois, les signes d’un durcissement se multiplient.

 

Les journalistes ont d’abord été retirés sans explication des groupes de messagerie interne du Parlement, où circulaient ordres du jour et communiqués officiels.

 

Puis, le 19 août, le direct des débats a été brusquement interdit — une première depuis plusieurs années.

 

Dans les travées de Kigobe, le silence médiatique s’est installé.

 

Un journaliste confie sous anonymat : « Restreindre l’accès à la vie parlementaire, c’est refuser aux citoyens le droit de savoir comment on décide pour eux. »

 

Mais dans le Burundi actuel, cette revendication de transparence passe mal.

 

Le 29 septembre, le conseiller principal de l’Assemblée nationale, Aimé Emmanuel Nibigira, a annoncé la nouvelle règle : plus de couverture sans carte d’accès officielle.

 

Sur le papier, l’objectif est de “mieux organiser” la présence des médias.

 

En réalité, la mesure apparaît comme un moyen de tri sélectif, permettant d’écarter discrètement les voix jugées indésirables. Car pour obtenir la carte, les journalistes doivent présenter leur carte de presse nationale — un document que le Conseil national de la communication, CNC, ne délivre plus depuis des mois.

 

Un blocage institutionnel que certains rédacteurs n’hésitent pas à qualifier de stratégie d’exclusion.

 

« On exige un document qu’on ne peut pas obtenir. C’est un piège administratif », résume un directeur de publication.

 

Les rédactions, déjà fragilisées par la pénurie chronique de carburant et les difficultés de fonctionnement, voient dans ces nouvelles contraintes un coup de massue supplémentaire.

 

L’idée même qu’une seule carte d’accès puisse être délivrée par média fait craindre un ralentissement complet du travail journalistique.

 

Dans les faits, la mesure revient à réduire la présence de la presse indépendante au Parlement à peau de chagrin.

 

Les propos récents d’Aimé Emmanuel Nibigira n’ont rien arrangé.

 

« Chaque journaliste sera personnellement responsable d’une information qui déplaît aux autorités de l’Assemblée », a-t-il déclaré, instaurant une menace directe sur la profession.

 

Or, la loi burundaise sur la presse est claire : la responsabilité d’un article incombe à la rédaction, non à un individu isolé.

 

Cette inversion du principe légal illustre la logique actuelle — celle d’un pouvoir plus soucieux de contrôler que d’informer.

 

Dans les couloirs de Kigobe, la méfiance s’est installée.

 

Plusieurs journalistes affirment s’être vus refuser l’accès sans explication.

 

D’autres évoquent des pressions, des menaces voilées, des consignes orales.

 

L’atmosphère est devenue celle d’un huis clos institutionnel où la parole publique se replie derrière les rideaux de la majorité parlementaire.

 

Car avec un hémicycle dominé par le CNDD-FDD, le parti au pouvoir, la tentation de monopoliser la narration politique est forte. Le contrôle de la communication devient un instrument de domination autant qu’un outil de silence.

 

Les observateurs parlent déjà d’une “mise sous tutelle” de la presse parlementaire.

 

Le live streaming des séances, jadis symbole de transparence démocratique, a disparu des écrans.

 

Le citoyen n’a plus accès ni aux débats, ni aux votes, ni aux discussions de fond.

 

Dans un pays où la presse indépendante se bat depuis des années pour sa survie, cette nouvelle fermeture prend l’allure d’un signal politique fort : celui d’un pouvoir qui ne tolère plus le regard critique.

 

Derrière la rhétorique administrative, c’est la liberté d’informer qui se trouve amputée.

 

Une carte d’accès peut sembler une simple formalité ; elle devient ici un instrument de filtrage politique.

 

Une barrière invisible mais efficace, qui permet de décider qui voit, qui entend, et donc, qui raconte.

 

En restreignant ainsi le droit de regard des médias, l’Assemblée nationale du Burundi s’isole dans une opacité inquiétante.

 

La démocratie, elle, s’affaiblit à mesure que les caméras s’éteignent.