La justice burundaise choisit la servitude plutôt que le droit

La décision rendue le 14 octobre par le tribunal de grande instance de Ngozi de maintenir en détention la journaliste Sandra Muhoza a provoqué une onde de stupeur parmi les défenseurs des droits humains.

 

Alors que de multiples voix, locales comme internationales, réclamaient sa libération, la justice burundaise a choisi la voie de la prudence judiciaire – ou, selon ses détracteurs, celle du verrouillage politique.

 

Journaliste au quotidien La Nova, Sandra Muhoza croupit en détention depuis près de six mois.

 

Arrêtée à Ngozi le 13 avril 2024, elle a été transférée quelques jours plus tard à la prison centrale de Bujumbura, plus connue sous le nom de Mpimba.

 

Les chefs d’accusation retenus contre elle – « atteinte à l’intégrité territoriale » et « incitation à la haine ethnique » – sont aussi lourds que flous, nourrissant les soupçons d’une affaire à caractère politique plus que pénal.

 

Lors de l’audience du 7 octobre, ses avocats avaient pointé de nombreuses irrégularités, notamment l’absence d’audition préalable par le parquet avant sa présentation au tribunal.

 

Un vice de procédure que la défense estimait suffisant pour exiger sa remise en liberté.

 

Mais le tribunal a préféré temporiser, arguant de la nécessité d’un examen « approfondi du dossier ».

 

Ce nouvel épisode judiciaire survient après un précédent coup de théâtre : la cour d’appel de Bujumbura Mairie s’était elle-même déclarée incompétente pour juger cette affaire, plongeant le dossier dans un imbroglio juridico-administratif.

 

De quoi laisser planer le doute sur la cohérence – voire l’indépendance – de la chaîne judiciaire.

 

Les réactions internationales ne se sont pas fait attendre.

 

Reporters sans frontières (RSF) a dénoncé une « détention illégale » et rappelé que la décision de la cour d’appel rendait nulle toute condamnation antérieure.

 

L’organisation appelle les autorités burundaises à mettre fin à ce qu’elle qualifie d’« acharnement judiciaire ».

 

Même tonalité du côté du Committee to Protect Journalists (CPJ), qui fustige une « grave injustice » et voit dans cette affaire une volonté manifeste de museler la presse critique au Burundi.

 

Au-delà du cas individuel de Sandra Muhoza, c’est la question plus large de la liberté de la presse qui se pose.

 

Dans un pays où les médias indépendants peinent encore à se relever des années de répression, chaque arrestation de journaliste résonne comme un signal d’alarme.

 

La détention prolongée de la journaliste, malgré l’absence d’une base juridique solide reconnue par plusieurs instances, alimente le sentiment d’une justice instrumentalisée.

 

Ses proches, eux, continuent d’espérer que la vérité juridique finira par triompher.

 

Ils réclament un procès équitable, mené dans le respect des droits fondamentaux de la défense.

 

Pour eux, au-delà de la journaliste, c’est la dignité de tout un métier qui se joue dans cette salle d’audience de Ngozi.

 

Dans une critique adressée à la justice burundaise, la Coalition pour la Renaissance de la Nation, CRN – Ingeri ya Rugamba ne mâche pas ses mots.

 

Elle s’insurge contre ce qu’elle qualifie de « persistance d’une justice sélective, incapable de s’émanciper du pouvoir politique ».

 

Selon la CRN – Ingeri ya Rugamba, le maintien en détention de Sandra Muhoza illustre « une dérive inquiétante où la loi se plie aux volontés du moment, au détriment de la vérité et du droit ».

 

Elle rappelle que « priver une journaliste de liberté sans fondement légal clair, c’est priver le pays de l’un de ses miroirs les plus nécessaires ».

 

Et de conclure: « Tant que le Burundi craindra ses journalistes plus qu’il ne craindra l’injustice, il restera prisonnier de ses propres barreaux. »

 

Ainsi, au-delà d’un simple dossier judiciaire, l’affaire Sandra Muhoza devient un révélateur : celui d’une société en tension entre son désir de stabilité et sa peur de la parole libre.