Burundi au seuil de l’enfer

Vingt ans après l’arrivée au pouvoir du CNDD-FDD, le Burundi semble plus que jamais enlisé dans une crise profonde. L’économiste burundais André Nikwigize livre une analyse sombre mais lucide : le peuple, dit-il, « se retrouve aujourd’hui au seuil de l’enfer ».

‎Une formule forte, qui résonne douloureusement dans un pays où l’espoir d’une véritable renaissance s’est dissipé au fil des années.

‎En 2005 pourtant, l’arrivée au pouvoir de Pierre Nkurunziza portait les promesses d’une ère nouvelle.

 

‎Après une décennie de massacres et de fractures interethniques, les Burundais voyaient dans le CNDD-FDD un mouvement capable de ramener la paix, la justice et le développement.

‎À son investiture, le chef de l’État reprenait le célèbre « Je vous ai compris » du général de Gaulle et promettait une rupture nette avec la corruption, les violences, l’impunité et la pauvreté.

 

Les mots étaient forts, la société meurtrie voulait y croire.

 

‎Mais les années ont passé, et malgré une succession impressionnante de plans de développement et de visions stratégiques — Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, Vision 2025, Plan national de développement 2017-2027, et désormais Vision 2060 — le pays s’enfonce.

 

‎Nikwigize souligne l’écart criant entre les discours et la réalité : la faim progresse, les enfants meurent de malnutrition, les services publics se délitent, la corruption prospère, les libertés s’érodent. Les partenaires internationaux ont réduit leur aide de plus de moitié en dix ans, les investissements étrangers se sont effondrés, et la dette publique a explosé.

 

‎L’économie, déjà fragile, vacille sous le poids de la mauvaise gouvernance.

‎Pour l’économiste, les dirigeants actuels demandent au peuple d’attendre encore trente-cinq ans, promettant que « le grain de la prospérité », enfin planté en 2023, portera ses fruits en 2060.

‎Une promesse qu’il juge irréaliste, voire cynique, dans un pays où « le grain n’a ni eau, ni engrais, ni semences, ni gardiens honnêtes ». Le décalage entre le récit officiel et les conditions de vie réelles crée un sentiment d’abandon profond.

 

‎« Le paradis promis s’éloigne encore, tandis que l’enfer s’approche », résume-t-il.

Face à cette impasse, Nikwigize estime que les Burundais ont désormais trois choix : se résigner et s’enfoncer davantage dans la misère ; continuer à croire à un paradis lointain que beaucoup ne verront jamais ; ou ouvrir les yeux sur vingt années de promesses non tenues et reprendre en main leur destin.

‎L’économiste cite Thomas Sankara pour conclure : « La maladie ne se guérit pas en prononçant le nom du médicament, mais en le prenant. »

 

‎Dans sa réaction , la Coalition pour la Renaissance de la Nation (CRN – Ingeri ya Rugamba) se range derrière cette analyse et va même plus loin.

‎La coalition estime que les constatations de Nikwigize « valident ce que les Burundais vivent depuis longtemps ».

‎Elle accuse le CNDD-FDD d’avoir « trahi l’élan de 2005 » en instaurant « un système de prédation, d’impunité et de répression ».

‎Pour la CRN – Ingeri ya Rugamba, la Vision 2060 n’est rien d’autre qu’« un artifice politique destiné à masquer un échec historique ».

 

Le mouvement appelle à un changement profond du leadership national et conclut dans des termes qui rejoignent ceux de l’économiste : « Depuis vingt ans, le pouvoir a conduit le peuple non pas vers le paradis, mais au bord de l’enfer. Il est temps que les Burundais reprennent leur destin en main, avant qu’il ne soit trop tard. »‎‎